Tranches (sic) de vie
Il m’arrive parfois, même si de plus en plus rarement, de marcher sur un fil, un filin d’acier, un bon câble d’équilibriste, solide, ancré, tendu, arrimé et souvent je perds l’équilibre — souvent ? disons pratiquement à chaque essai —, mais ce qui me surprend, aujourd’hui encore, c’est que je ne tombe ni à droite ni à gauche ; je tombe tout droit ; le fil, le filin, m’entre dans le corps et me coupe en deux morceaux à peu près symétriques, cependant l’étrangeté ne gîte pas là, en effet, outre que je n’éprouve aucune douleur, à l’instar du bloc de glace que le froid congèle de nouveau après qu’un fil de fer l’ait traversé de part en part, mes deux pauvres moitiés se ressoudent très exactement face à face et ce miracle inattendu m’empêche de poursuivre ma chute, laquelle, logiquement, devrait s’achever par une terrible collision avec le sol ; je reste là, suspendu, entre le câble nu, vide, inutilement tendu entre deux points parfaitement alignés, et le sol ; il faut alors toute la persuasion de mon épouse pour me convaincre de descendre par l’échelle qu’elle dresse sous mes pieds afin de me permettre d’aller laver la vaisselle quand c’est mon tour de plonger les mains dans l’eau chaude du bac droit de l’évier ou de sortir les poubelles si on est un mardi soir non précédé d’un jour férié.