Fil "AU CHINOIS"
Soit un fil et une aiguille.
Du fil ?
Mon beau-père en vendait au marché d’une ville bâtie à flanc de colline. Du , ses clients Maghrebins n’en achetaient pas. Du fil chinois ? Jamais !
J’en ai enfilées des aiguilles de fil de lin, de à l’époque à laquelle je cousais, car, enfin, enfiler du fil de lin fin au chas d’une aiguille, c’était bien afin de coudre.
Que couds-je, que couds-je ?
Que cousais-je ?
Ne vous déplaise, je cousais... oh, pas grand chose en somme, je cousais mes souliers éventrés, mon sac de voyage déchiré, ma ceinture malmenée, je cousais... je rapprochais les morceaux.
Je l’aimais bien le , l’était si solide. Les souliers craquaient à côté de la couture, le sac bâillait d’une autre plaie, la ceinture cassait là où personne ne l’attendait.
J’enfilais des aiguillées de lin tressé et je cousais.
Je brodais également. Élégamment ? Ben, moi j’aimais !
J’ai bien dû broder une ou deux lettres d’amour au coton perlé. Les souris les ont mangées.
J’avais toujours une bourse remplie d’aiguilles et de fils. Où j’allais, elle me suivait. Une bourse de cuir rouge aux glands vert pomme. Du cuir vert pomme pour des glands qui pendaient aux cordons d’une bourse rouge remplie de fils dont certain . Faits main, les glands, la bourse et les aiguillées que j’enfilais pour rapiécer mon équipement mité.
Je m’étais cousu un sac de marin en cuir blanc et chocolat. Deux longs pans chocolat, deux longs pans blancs, le fond blanc... Si large, si haut que je n’ai pas pu le soulever une fois plein, il est resté au port. Il m’y attend encore, qui sait, peut-être y a-ton amarré un paquebot en dormance ? Une bitte chocolat et blanc, voyez s’il y reste une bobine de fil, ce serait bien là le sac que je cousis voici tantôt quarante ans.
En cuir chocolat et blanc.
J’ai cousu des boutons que j’ai serrés si fort que le fil les a cassés au ras. C’est méchant le , ça coupe. Je me suis coupé en tirant l’aiguille. Le petit doigt. Exposé le petit doigt. Exposé.
J’aimais bien le . Un jour — ça m’a pris trois bonnes semaines — j’ai brodé un pommier en fleurs au , puis une fleur de pommier — ce qui n’est pas la même chose, puis une pomme verte, rougissante et encore verte, puis rouge et mordorée, et un trognon. Un trognon ! j’ai brodé un trognon !
Mon gilet avait bien dix poches, cinq à gauche, les autres à droite, le dos en satin fermière. J’aimais bien le satin fermière, bon, ma virilité en prenait un coup mais j’assumais. Les sarcasmes, je les épinglais au revers de mon gilet, celui aux dix poches et au dos satin fermière.
La bourse de cuir rouge et aux glands vert pomme, je l’ai retrouvée avant-hier. Grisette l’avait emportée, trouvée au grenier certainement, puis, lassée d’elle, l’a rendue. Posée là, éventrée.
Éventrée...
Mais ce soir, je n’ai plus de pour la rapiécer, les Chinois, les vrais, ceux de là-bas, ont dû faire capoter la maison qui torsadait ses fils de lin. Vous croyez qu’on en trouve encore du ?