Mouarf
Ma belle-mère, femme pieuse, quitte l’église ce dimanche de juin 1960. Son chemin de retour l’oblige à traverser la place du marché. Elle aperçoit son mari, le hèle. Ce dernier ne répond pas et continue sa route. Belle-Maman insiste :
— Jacques ! Jacques !
Elle hâte le pas, rattrape son époux et lui tape à l’épaule :
— Jacques !
Un inconnu se retourne.
Prise de court et essoufflée un peu par sa marche vive, voulant s’excuser, les mots s’emmêlent et ne sort de sa bouche que cette phrase qui, cinquante-deux ans plus tard, la hante encore :
— Oh, pardon, Monsieur, je vous avais pris pour le père d’un de mes enfants !
Chaque fois que l'anecdote lui revient, elle clot ainsi :
— Mon Dieu, ce que cet homme a dû penser de moi !
— Imaginez Mamie, que l'inconnu vive encore et à qu'à chaque fin de banquet il raconte sa version de l'histoire pour édifier toute sa famille réunie.
— Oh, Papistache, tais-toi, tu es un mécréant.