Où l'auteur semble avoir épuisé son sujet du moment
Ni Mowgli, ni Perceval... ni l'un, ni l'autre...
Ou plutôt, et l'un et l'autre seront absents de ce billet.
Le lecteur, je le devine, en a soupé des bambins...
Quoi ?
Comment ?
On aurait sucé de mes petits-enfants et la moelle et le jus ?
Est-ce donc cela cette sensation de manque qui me fit sortir du lit le front en sueur et le dos glacé ?
— Rosette dis-moi ? Tes enfants sont-ils toujours pendus à ton sein ou leurs os garnissent-ils le buffet de quelqu'un à qui, naïvement, peignant autant de scènes ingénues et charmantes, je faisais sourdre la salive aux commissures des lèvres ?
— Chut, Papa, ils se sont endormis tard, ne va pas les réveiller en tambourinant au combiné avant 11 h 00. Il n'est pas né celui qui m'ôtera mes enfants pour les mettre au bouillon, ils ne sont pas pendus à mon sein mais boulonnés, rivetés, soudés, cloués, chevillés, ligotés, ancrés, enchainés, liés... rendors-toi ! je vais te dire un poème qui devrait te rendre le sommeil, c'est bien à mon tour de bercer tes insomnies.
Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort
amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame
s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut ;
L'Ogre
un beau jour d'hiver peigne sa peau velue,
Se présente au palais de
la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La
fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là
sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de
brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était
sous le porche et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout
seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en
décembre,
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre
se mit alors à croquer le marmot.
C'est très simple. Pourtant c'est
aller un peu vite,
Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite,
Que
de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d'un ogre est
frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe.
La
fée avise l'ogre avec sa bouche énorme.
As-tu-vu, cria-t-elle, un
bel enfant que j'ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.
Or,
c'était maladroit . Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint
l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que
l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle,
et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre
russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
Victor Hugo