Rien ne se perd tout se transforme et réciproquement
Chère Maminette*,
J'aimerais encore vous arracher un sourire — même pâle, un sourire reste un sourire — aussi, vais-je vous donner à lire une histoire drôle que j'avais écrite pour les défis du samedi — à ce propos, le thème de la semaine tourne autour de la mayonnaise et de la blague à trois sous, allez y faire un tour, j'ai raconté une histoire de Toto, elle pourrait vous distraire deux minutes — mais que j'ai recalée, précisément parce que j'y ai donné l'histoire de Toto et que je veux pas squatter les défis en les abreuvant de ma prose.
Une histoire que vous ne lirez nulle part ailleurs :
Un fou repeint un plafond.
Un autre fou entre dans la pièce.
Il dit au premier : “Accroche-toi au pinceau, j’enlève l’échelle.”
Un fou ? Un déséquilibré ? Un déséquilibré sur une échelle ? C’est risqué ! Il pourrait tomber.
Repeint ? Donne une deuxième couche ? Ou peint un plafond que son collègue aurait peint précédemment ?
Un plafond ? On dit des fous qu’ils ont une araignée au plafond. Ce serait donc une allégorie pour signifier que le déséquilibré, en équilibre sur son échelle, serait en période de récidive (il repeint) ?
Un autre fou ? On serait dans un asile et les patients seraient assez autonomes pour se déplacer d’une pièce à l’autre sans la présence d’un infirmier ?
Entre dans la pièce ? La pièce du fou ou la pièce du fond ? Pas la fesse du pion ? Quoique ? Il entre dans l’intimité du premier. Il le dérange. Il viole son espace personnel. Ou serait-ce le même ? Un dédoublement de personnalité.
Un schizophrène repeint un plafond. Il se dit à lui-même...
C’est une hypothèse, docteur, à retenir.
Il se dit à lui-même. Il essaie donc de se convaincre. “Accroche-toi au pinceau.” Il ne dit pas "au rouleau". La profession repeint les plafonds au rouleau. Pas au pinceau.
Pinceau = symbole phallique.
Accroche-toi au pinceau. Accroche-toi à ton pinceau.
Le type se masturbe en fait.
Je retire l’échelle.
L’échelle = ascenseur. Ascenseur vers le septième ciel.
Je retire l’échelle. Je te prive de l’accession au plaisir.
Je te castre. L’univers hospitalier est castrateur. Branle-toi, tu n’en tireras aucun plaisir.
Un schizophrène s’astique le manche ; du fond de sa névrose, un autre lui-même lui envoie un message : l’amour physique est sans issue.
Autre hypothèse : échelle = évasion.
Accroche-toi au pinceau = masturbe-toi !
J’enlève l’échelle = ce n’est pas ainsi que tu recouvreras la liberté.
A Charenton, un malade mental prend conscience que l’onanisme, une fois éprouvé l’éphémère plaisir plus ou moins longuement conquis, ne lui ouvrira pas la porte vers la liberté. Il le sait et pourtant il ne peut s’empêcher de repeindre son plafond. Il n’est pas sorti d’affaire, le barbouilleur.
C’est bien triste comme histoire**, Maminette, n'est pas amuseur qui veut. Au moins, aurais-je essayé ; cet effort mérite un sourire n'est-ce pas ?
*La vie étant faite ainsi que l'on sait, j'aime à croire que d'autres que vous tireront profit des trois minutes accordées à la lecture de ces papistacheries estivales.
** Je me plais à penser que le succès inter-générationnel de cette histoire doit tenir en grande partie au sens que je viens de révéler.