La mélancolie du grille-pain
Installé dans l’arrière-cuisine, loin de la grande exposition médiatique des petits déjeuners matutinaux de l’an 2007 (je vous épargne le lien, hein ?), le grille-pain déprime.
Depuis quelques semaines, il semble de moins en moins enclin à assurer son service. Que personne ne croie qu’il soit en fin de vie. C’est un problème plus existentiel que mécanique.
Voyez lundi dernier ! Une tartine de pain — 14 cm sur 6 cm, épaisseur 1,5cm — position 4 sur une échelle de 8, normalement c’est l’affaire d’une minute. Là, rien, à peine un petit semblant de couleur aux angles.
Qu’à cela ne tienne, le Bonhomme Papistache renouvèle l’opération.
Nouvelle minute. Rien.
Encore. Rien !
Six fois encore et sans la présence d’esprit d’Épouse-Chronomaîtresse, je pointais en retard.
J’ai mangé ma tartine froide et molle.
Mardi !
Mardi, je me lève une demi-heure plus tôt. Enfin, plutôt, une heure plus tôt. Plus tôt que d’habitude. Je dois tout expliquer. Seriez-vous mélancolique ? Je me confectionne une tartine aux normes européennes 14 x 6 x 1,5, la glisse dans la fente du grille-pain et m’assieds à son chevet. J’ai dû m’endormir, une lourde fumée âcre enveloppait la cuisine. Compatissant, le mélancolique ami avait cru bon ne pas troubler mon sommeil en éjectant à brûle-pourpoint ma tartine grillée à point. C’est brûlée que je la jetai donc. Aérer la cuisine ne prit qu’un instant que saisirent mille-et-un microbes en fondant sur mes bronches.
Mercredi !
Mercredi, averti de mes deux précédentes matinées, je campais de pied ferme, les yeux grands ouverts. Bien m’en a pris, en dix secondes le feu prenait à l’appareil. Il fut un temps où j’aurais jeté de l’eau pour éteindre l’incendie. Vous auriez bien ri. Cruels ! J’ai voulu arracher le câble à sa prise. Comment faire vite ? La prise se cache derrière le buffet. Je me suis rompu une vertèbre à vouloir le tirer à moi. Vous auriez actionné le disjoncteur, il se trouve au garage et il y fait noir sans électricité. J’aurais eu peur ! Carbonisée la tartine.
Jeudi !
Je parlemente, j’explique, je psychanalyse. La confiance revient. Je promets un billet. La tartine n’a jamais été aussi bien dorée que cette fois-ci. Mais voilà, le billet ne sort pas. Trop de “trop” qui s’accumoncèlent (de accumuler et amonceler) et j’oublie mon engagement, et j’oublie même le souvenir de mon engagement.
Vendredi !
Vendredi, le grille-pain broie du noir : il refuse de s’enclencher. Le ressort projette la tartine à cinquante centimètres au-dessus du buffet. J’en cherche encore trois.
Samedi, dimanche, les volets sont restés clos. Les propriétaires se gobergeaient de croissants au beurre salé sur les bords de l’Erdre.
Lundi 24 novembre, j’écris ma chronique tôt. 6 h 01, c’est tôt ! C’est que je ne suis pas insomniaque, moi. Je carbure au sommeil paradoxal, moi !
Je vais la lui lire, la chronique, ça devrait chasser son bourdon. J’espère. Si demain matin, je n’ai pas donné signe de vie, c’est que mon cœur aura lâché sous la décharge qu’il est en droit de m’infliger pour l’avoir si longtemps passé sous silence. Un grille-pain qui a connu Georges Pompidou : la peine de mort n’était pas encore abolie, à cette époque. Bon, on guillotinait, mais vous voyez les gros titres :
Je le connais, il a le sens des valeurs, il m’électrocutera ou il reprendra son service.
PS: Quoi qu’il advienne, j’ai passé de délicieux moments en votre compagnie et n’allez pas croire que ce soit moi qui soit empreint de mélancolie. De la quinzaine, je ne me suis jamais senti mieux que ce matin.