De l'avantage d'écouter la radio sous la douche
Samedi — autant dire hier, vu que j’écris dimanche — je me préparais pour les Défis du Samedi. Raie au milieu — je suis chauve, et alors ?—, après-rasage — je suis barbu, et alors ? —, douche — je sens la myrte et le lait, et alors ? —, bref, j’effectuais tout ce qu’il est convenu d’attendre d’un hôte sachant recevoir. J’espère que mes efforts ont été appréciés.
Samedi, donc — toutes les digressions vers lesquelles vous m’entraînez ne font que retarder le nœud du récit, vous en êtes bien conscients ? — je me séchais entre les orteils — c’est que les mycoses y nichent plus qu’ailleurs — quand de la minuscule radio à transistors — j'ai mis un "s" à transistors, j'imagine qu'ils sont plusieurs, même dans une si petite radio— de la salle de bains — je me sèche dans la salle de bains, que voulez-vous ? toute une vie ! — sort cette phrase qui me projette quarante ans en arrière —disons trente-cinq et ne chipotons plus — “L'intelligence n'est pas ce que l'on sait, mais ce que l'on fait quand on ne sait pas.”
Les chanceux qui ont pu bénéficier d’études supérieures auront reconnu Piaget — pas le journaliste de France Inter ! — oui, j’écoute France Inter — le psychologue Suisse — les autres — dont je suis — opineront du chef en laissant tomber du bout des lèvres : “Ça lui ressemble bien, à Piaget !”
Si je n’étais pas toujours interrompu j’aurais illustré combien cette phrase m’a rappelé le jour où pour la première fois, de mon propre chef, je me suis senti intelligent.
Ce jour-là, il faisait nuit noire.
Nous — n’entrons pas dans les détails, concédez-moi le pluriel sans discutailler — plantons la tente dans un sous-bois. De nuit ? Affirmatif ! mon capitaine !
Une racine aiguë et assassine menace de percer le tapis de sol — ce qui expose l’humidité à envahir la tente, ignares ! — et la consternation nous gagne. Déjà que la fatigue prenait beaucoup de place.
Que faire ? Consultés, aucun de ceux qui composaient le groupe ne peut répondre. Voyons Piaget : L’intelligence n’est pas ce que l’on sait...
Votre aimable — c’est moi qui tient la plume ! — ami sort pensivement son couteau de sa poche, se couche au sol, tend le bras sous le tapis de sol, tâtonne et repère l’assassine racine. Si son canif avait été suisse, nul doute qu’il eût été muni d’une scie... c’était un Opinel ! Qu’importe ! L’opération dura bien trente minutes, il vint à bout de l’engeance diabolique.
Revenons à Piaget : “...mais ce qu'on fait quand on ne sait pas.”
Les compagnons, cette nuit-là, oublièrent de saluer l’acte à sa juste valeur, ils s’étaient endormis au pied d’un arbre. J’espère qu’aujourd’hui justice sera rendue.
Depuis, j’ai rencontré de jolis phraseurs qui m’ont assuré que déplacer la tente de cinquante centimètres n’aurait pris que cinq minutes. Je ne les crois pas !