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Papistacheries
14 mars 2008

-4- Le père Noirot

    Le son devient plus aigu. Le vélomoteur se rapproche. Effet Doppler-Fizeau ! Sorti sans diplôme, au tout début de sa seconde année d‘étude, de l’Ecole Normale Supérieure de Micromécanique de Besançon, Robert n’a pas oublié ses cours de physique. Il aimait apprendre. Le décès de son père l’a obligé à intégrer précipitamment l’ECFS. Monsieur Cambouis Père l’a engagé au magasin de l’entreprise. Son rêve de devenir ingénieur s’est arrêté là, parmi  les rayonnages méticuleusement rangés. Il aurait pu reprendre ses études sur le tard, mais les enfants sont venus, puis la routine, l’usure.

    Robert et Yvette s’arrachent au  spectacle. Se pourrait-il que le père Noirot les ait suivis dans leur mauvaise fortune ?

    Un nouvel horizon s’offre à leurs yeux . Dans leur dos, la grande demeure cossue des docteurs Lamy & Gdale a laissé place à un lotissement d’une quinzaine de huttes ovoïdes, en verre, animées de rotations alternatives. Leur voiture n’a pas bougé, sinon qu’elle occupe le centre d’une avenue large et lisse. La ruelle qui les avait également séduits lors de l’achat de la maison en a, probablement, rejoint les gravats.

    C’est bien  Noirot avec son casque bleu roi, hors d’âge. La visière de plastique, gauchement consolidée avec du ruban armé de fibre de verre, baissée pour protéger les lunettes aux verres épais du petit bonhomme, d’ordinaire si ponctuel, de la tendance suicidaire des insectes volants locaux.

    Le pilote approximatif reconnaît  le couple près de la voiture et manque perdre l’équilibre en voulant lever la main en guise de salut amical. L’engin s’immobilise à leurs pieds. Des relents d’essence assaillent les narines d’Yvette et Robert, qui, la gorge nouée, attendent sans mot dire.

— Ah ! M’ame Yvette, M’sieur Robert ! J’y ai cru mourir. Mais qu’est-ce qu’i nous z’a fait eul’ maire. C’est tout tourneboulé d’partout. J’m’ai perdu. Vingt fois qu’ j’m’ai pas r’trouvé avec ces putins d’giratoir’ à la noix.

    Le père Noirot conte comment, ce matin, il s’est retrouvé en butte avec  tout ce que sa maison contient d’ustensiles censés simplifier la vie. La cafetière électrique dont le filtre s’est bouché et qui a débordé,  le pot de confiture qui s’est écrasé sur le carrelage de la cuisine quand il a voulu en dévisser le couvercle ...
— I’m’y’ont dit les Toubibs Lamy & Gdale, qu’i faut que j’m’y fasse opérer du canal tarpien...
— Carpien, rectifie Yvette.
— I’m’y’ont dit tarpien, à moi, coupe le vieil homme.

    Robert et Yvette connaissent le bonhomme. D’abord le laisser terminer le récit de son épopée.
Ils apprennent que le  comble a été franchi quand  le pneumatique de la roue arrière de son vélomoteur a montré qu’à l’évidence il manquait d’air.

    A défaut de comprendre les raisons de leur situation les deux employés de l’ECFS viennent de saisir la cause du retard  du petit pépère.

— Mais j’m’ai reconnu quand j’y’ai vu l’chemin d’l’ancien tramway. Ah ! Ça qu’j’m’ai dit, j’m’y r’tourne à lamaison. Pensez si j’y’connais l’chmin d’l’ancien tramway, j’y cueillais les pissenlits qu’m’ame Yvette était pas ‘cor’née.

    Un regard échangé entre les deux époux les conforte dans leur impression. Le Père Noirot ne s’est rendu compte de rien. A sa décharge, ils reconnaissent que sa vue de myope n’est pas étrangère à sa perception de l’instant. Lequel des deux va-t-il lui dessiller les paupières ?

— Ah ! Ça m’y a donné soif ! lâche l’ancien,  en se penchant vers l’une de ses sacoches d’où il extrait une antique gourde d'aluminium cabossée. Il pousse un juron formidable :
— Ah ! nom de dieu, d’nom de dieu, d’nom de dieu ! Faut-y que j’y’sois une bête !

    Interloqué par la violence du propos, que le couple met sur le compte de l’errance du père Noirot à travers le dédale des artères nouvelles de la ville — combien de siècles ont-ils bien pu s’écouler depuis l’ouverture du portail, voici quelques heures —, Yvette et Robert voient leur voisin se pencher de nouveau au-dessus de la sacoche et en extraire un paquet brun.

— C’est la p’tite Josette, la factrice, qui m’y a donné pour vous, hier matin. J’y ai oublié d’vous l’porter. Ça vient d’La Rochelle. C’est d’vot’ fille. La grande ! Paraît qu’c’est urgent !

    Pascalinette ? Ils étaient chez elle le week-end précédent, voici trois jours. Yvette s’empare du paquet, l’écriture fine et serrée est bien celle de sa fille aînée. La maman du petit Rackham, deux ans et demi dans neuf jours. Elle tend l’objet à son mari et l’invite à l’ouvrir. Celui-ci lui montre ses mains meurtries et décline l’invitation au prétexte qu’il risque de salir le timbre.


    Yvette déchire l’emballage kraft. Dans le paquet, une petite boîte rose et une feuille de papier parme pliée en quatre desquelles émanent de subtiles odeurs familières.


à lundi...

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Commentaires
V
"pas' ra pas ! "
S
Je découvre votre blog avec plaisir et reviendrai lundi pour le dénouement de l'histoire...
M
Où comment noyer habilement le poisson ! Bravo... j'ai déjà oublié ma question !
J
A lundi alors...<br /> Mais tout ca est fort intriguant!! J'essaye de deviner... hehe... *sourire*
I
Oh, zut, j'ai manqué la visite du grand maître de ces lieux. <br /> <br /> Hé bien, moi, I'm lost. Perdue en conjectures diverses pour essayer d'entrevoir une lueur d'explication à tout cela... <br /> <br /> Je désespère de comprendre. J'attends donc lundi impatiemment !
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