Une roue qui tourne
Elle lui parle : sa voix se trouble.
Lui, qui l’écoutait sans la regarder, perçoit le nœud dans la gorge, lève la tête, quitte la rédaction de son mémoire, voit les larmes ruisseler sur la joue.
Elle, regarde la fenêtre, ou au-delà de la fenêtre. On ne sait pas. On ne saura pas. Il voit couler les larmes, ne dit rien. Enfin, surtout pas qu’il a vu couler les larmes. Elle ne saura pas qu’il les a vues. Peut-être craindra-t-elle qu’il les ait vues : « Il n’a rien dit. »
Il fait comme s’il n’avait perçu que le trouble dans la voix et bredouille quelques mots qu’il voudrait réconfortants : « Ça ira, Sylvie te donnera un coup de main... tu pourras me téléphoner... Bernard aussi t’épaulera... tu y arriveras... »
Elle se reprend, fait mine d’avoir été rassurée. Ils n’en sont pas au stade des confidences intimes. Collègues de bureau, sans hiérarchie... collègues.
Elle s’est reprise et retourne à ses dossiers, les paupières ourlées de rouge. Lui, son crayon reste suspendu au-dessus du mémoire devenu pensum. Il revoit les larmes couler ; son épouse pleurait ainsi, parfois. Souvent.
En septembre, il a quitté le bureau pour toujours. Elle a hérité de ses pensums, en plus des siens. Non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.