Le baromètre est au beau fixe
J’aurais bien voulu attendre trois jours avant de revenir mais vous m’auriez accusé d’avoir pris la grosse tête. Et une tête qui enfle, surtout ceinte d’une couronne d’épines : ouille, ouille, ouille !
Seulement voilà, maintenant, je suis censé être mort. Contraint donc à commencer mes Mémoires d’outre-tombe.
Mais !
Mais, vu qu’on m’aurait incinéré, je vais vous entretenir du vent.
Il souffle du nord-est.
Oh ! Facile.
Tous les matins, depuis trois semaines, Épouse-Au-Volant et moi passons devant une entreprise locale en conflit avec ses repreneurs de patrons.
Drame, hélas, qui se répète à l’envi.
Et tous les matins, vaille que vaille, le vent souffle du nord-est.
C’est que les grévistes — ou les licenciés, allez savoir qui fait quoi dans une usine en pleine déprime — pour montrer leur désarroi brûlent des pneus.
Dérisoire action syndicale :
— Camarades, on nous licencie ! Bigre, cela ne va pas se passer ainsi. Tiens, si on brûlait des pneus !
Et une remorque entière de pneumatiques usagés attend qu’une main de futur chômeur alimente le foyer qui crache sa colère noire au-dessus de la ville. Bon, les chômeurs sont les premières victimes, le vent refoule les fumées vers l’atelier dont les portes ouvertes aspirent le poison.
Pas de chance, le vent souffle 80 jours sur 100 de l’ouest. Vous imaginez le topo. Le vent est à la solde du patronat ! Il ne respecte même pas ses statistiques en temps de grève !
Le panache noir grossit.
La colère des ouvriers se lit dans la colonne que ploie le vent. Le vent est un jaune, mais le foyer ne s‘éteint pas. Chaque matin, nous espérons un panache rose ou vermillon.
Connaissez-vous un exploitant de décharge qui possèderait des pneus parfumés à la rose ? Pour les fins de grève, où ce seraient les ouvriers qui emporteraient le morceau ? En attendant, je soupçonne les responsables des déchèteries de surveiller les journaux locaux à l’affût des délocalisations ou restructurations pour suggérer aux personnels en état de choc :
— Si vous voulez, vous pouvez brûler des pneus !
Je me demande même s’ils ne les leur vendraient pas. Quoi ? Vous croyez qu’aucun n’y aurait pensé ? Bon filon pour se débarrasser des si polluants pneumatiques ! Aucun gendarme ne voudrait venir verbaliser des pauvres gars qui luttent de manière si dérisoire pour leur (comment ils disent les cravatés ? — pouvoir d’achat — ) survie. Une bonne grève, bien dure, — tiens, si on gelait les négociations en attendant que le stock se soit envolé en fumée — c’est souverain pour écouler les montagnes de caoutchouc dont personne ne veut !
En attendant, les murs de l’usine se couvrent de suie et les grévistes jouent aux boules sous un nuage noir. Et le vent souffle toujours depuis le nord-est.
J’aimais mieux quand je n'étais pas mort, les nouvelles étaient moins sombres, mais que voulez-vous, maintenant que je suis libéré de la pesanteur, je perçois le monde un peu différemment. Mes cendres ont pris de la hauteur.