Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Papistacheries
11 mars 2008

-2- Cloués au grillage

    L’évanouissement de Robert  ne dure que quelques secondes ; il prend appui, du coude, sur les briques qui couvrent le muret et se redresse. Yvette s’est éloignée pour chercher les raisons qui ont retenu le père Noirot au lit.

    “Mon jardin !” balbutie le magasinier en retrouvant son assiette. A rebours de son tempérament , il pousse un cri dans la rue.
— Civette !
Son épouse tourne la tête, rebrousse chemin et accélère le pas. Elle aperçoit les lunettes de Robert suspendues à une branche aventureuse du rosier Centenaire de Lourdes. Elle les cueille et les lui installe sur le nez.
“Mon jardin !” répète-t-il, un peu hébété.

    Tous les deux, depuis le trottoir qu’une bruine imperceptible poisse d’humidité, ils contemplent le désordre semé dans leurs trois cents mètres carrés. "Une parcelle de terre, en devanture de maison, ni trop grande ni trop petite, le reste on s’en accommodera !" avaient-ils demandé au gérant de l’agence. Quatre maisons visitées et le coup de foudre. Ils n’ont jamais regretté l’usage des économies d’une vie de labeur.

    Et aujourd’hui !

    Sur la gauche, la charmille, échevelée comme buisson d‘épines, étouffe le théier de Chine. Dimanche encore, d’un coup de sécateur précis l’ordonnancement a été rectifié. Les rosiers retombants sont masqués par les branches fines qui s’érigent en tous sens.

    L’inventaire est douloureux. Le spectacle éprouvant. Toutes les facultés du couple sont mobilisées dans les regards qu’ils jettent à leur domaine. Aucune pensée n’agite leur cerveau. Ils souffrent.

    Les deux occupants seraient partis un an qu’ils auraient retrouvé le jardin en un meilleur état. Partout la végétation s’est déréglée. Jaune, haute, envahie de longues tiges desséchées et brisées comme sous la fougue d’une tempête océanique, la pelouse offre le spectacle d’une friche délaissée. Des tiges d’ombellifères, anarchique mikado géant, hérissent le doux repaire des cyclamens de Naples.

    Yvette et Robert s’abstiennent de parler. Leurs yeux courent d’une plante à une autre. Yvette perçoit une rumeur sourde et continue qui  règne dans la rue. Elle se tait. Depuis leur départ, la lumière n’a pas changé, irréelle, diffuse. Alors le pêcher  fleurit !


    Robert s’accroche au grillage. Des deux mains. Un filet de salive coule à la commissure de ses lèvres. Le spectacle est grandiose. En dix secondes l’arbre se couvre d’une mousse rose qui se dissipe instantanément. Et le pêcher est vert. Sans transition. Vert amande. Non, émeraude. Les branches plient sous des fruits qui s’arrondissent et tombent au sol pour s’y fondre comme grésil en mai. Les branches se redressent, se dépouillent.

    Accaparés par la majesté et l’horreur, les deux seuls spectateurs du prodige ne voient pas les pousses agressives du rosier enserrer de vigoureux rameaux les avant-bras de Robert. Des bulles cotonneuses éclatent sans bruit  au sein de l’enchevêtrement bardé d’épines ; mille billes orangées y apparaissent pour s’évanouir dans l’instant. Le temps de cligner des yeux, il leur semble qu’un voile blanc couvre le jardinet. Pas un mot ne sort de leurs lèvres.

    Yvette, pourtant, s’arrache à la fascination et empoigne son mari aux épaules. Elle l’ôte des griffes du rosier. Le malheureux ne songe pas à s’émouvoir des longues balafres parallèles laissées sur le dos de ses mains.

    C’est elle qui lâche, la première, les paroles qui débarrassent son vieux compagnon de sa stupeur.

— Robert ! Je crois que nous sommes morts !

à suivre...

Publicité
Publicité
Commentaires
I
Je me précipite pour lire le troisième épisode que j'ai vu poindre en ouvrant votre blog.
T
J'aime beaucoup cette suite, ce mélange du réel et du poétique ! (chut... je continue ma lecture...)
P
Vous savez chère Ekwerkwe la difficulté de trouver un petit commentaire sympa pour chacun, alors parfois, oui, je provoque un peu. Mais c'est avec toute mon amitié.
E
Papistache, me taquineriez-vous?<br /> Ca n'enlève rien au plaisir de vous retrouver, ceci (et de quelle façon)!
P
Vous seriez arrivée un jour plus tard que la surprise devenait celle du vendredi. <br /> Etonnant ! Non ?
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Albums Photos
Papistacheries
Newsletter
Publicité