Lapin-De-Garenne
— "Affirmatif mon colonel ! J’ai battu un champion de France de course à pied !
— ...
— Affirmatif ! Aujourd’hui même, mon colonel !"
Vous ne me croyez pas ?
Si le mensonge était avéré, il serait trop gros !
Bien sûr, Papistache vous a habitués à de plus belles roueries.
Où se cache le piège ?
Ce coureur à pied, l’aurais-je battu aux échecs ?
Cela aurait pu se faire,
j’ai souvenir qu’il n’aimait pas ce sport autrefois.
Non, battu, à la régulière.
Lapin-De-Garenne (puisque battu, il me faut protéger son anonymat) est champion de France universitaire de demi-fond.
(C’est de l’athlétisme)
J’ai toujours couru loin derrière lui.
Parfois avec lui, pendant ses entraînements.
Un camarade de classe.
Un authentique champion.
Hélas ! Les vicissitudes de l’existence l’ont malmené.
Fort.
Je ne dirai rien de ce qui a provoqué sa déchéance.
A-t-il suivi la pente de Gervaise dans l’Assommoir ?
Presque !
Je l’ai battu ce matin, en faisant le marché.
Sur une jambe, je l’aurais battu !
A reculons, même !
Il est vieux !
Terriblement !
Nous avons le même âge !
Sa raison même a vacillé.
Il chancelle quand il marche à petits pas précautionneux.
Il a laissé un souvenir calamiteux dans son milieu professionnel.
Il s’est presque clochardisé.
Presque !
Combien sommes-nous à voir derrière le spectacle attristant qu’il donne, l’image du garçon de dix-huit ans qui courait comme un lapin et sautait les barrières avec légèreté ?
Que voit-il dans sa glace le matin ?
Rien ne sert de courir,
j’ai attendu trente-cinq ans
pour le battre en faisant les courses.
Les courses ! Pas la course !
Encore une histoire stupide de deux petites lettres qui font la différence.
N’empêche,
j’ai gagné !
Pourtant,
je n’en tire pas le plaisir que j’aurais eu à terminer dix, cinquante, ou cent mètres (oui, cent mètres ! comme cela aurait été jouissif !), derrière lui, autrefois.
Je ne résiste pas au plaisir d'adjoindre
le beau commentaire de Miss-Ter.
Il courait mais il ignorait
qu'il était dans une impasse.
Formidable.
Eh oui ! Le temps qui passe
Et laisse des traces ...
Tel était un as
Un héros du pancrace
Un lapin coriace
Le meilleur de sa race.
Courir avec audace
Pour finir dans une impasse
Se retrouver sur la paillasse
Au fond d’une crevasse...
Et de guerre lasse
Se noyer dans la mélasse...
Hélas ...