« Sans voix, sans mains, sans genoux, sardines, priez pour nous... »
La petite école du village voisin organise un voyage éducatif au parc zoologique ; on réquisitionne votre serviteur ravi de l’aubaine.
Il fut un temps où les sociétés de transport affrêtaient un car de tourisme pour les sorties de fin d’année. Chauffeur en mocassins, veste et chemise, connaissance approfondie de l’itinéraire et des bons plans, et véhicule assorti.
C’est terminé ; désormais les bus mis à disposition des écoles sont ceux qui tournent pour le ramassage quotidien des collégiens et lycéens, avec l’aménagement intérieur minimum qui sied aux circuits de courte distance. Disons, pour rester dans les métaphores touristiques, que l’époque a renoncé à Byzance au profit de Sparte.
Mais les grands squelettes roides n’y trouvent plus leur compte. Dossier droit comme la justice, assise souple comme une pierre tombale, espace entre les sièges où peine à se faufiler un fil dentaire — même reculé au plus profond du strapontin, vos genoux touchent encore au dossier du précédent —, le trajet aller dépasse à peine les deux heures, certes, mais il faudra revenir à son point de départ !
Il se plaint, l’animal, quand de grands fauves, arpenteurs de savanes ou déserts glacés s’étiolent dans de charmantes — foin des tristes barreaux d’antan, les animaux ne sont séparés des visiteurs que par des vitres épaisses — mais dérisoires reconstitutions d’habitat naturel.
Et puisque l’ambiance de ce mardi 20 mai me rappela quelques souvenirs, pour terminer, un petit poème de Georges Fourest en guise de conclusion : Sardines à l’huile
Sardines à l’huile fine
sans tête et sans arêtes.
(Réclames des sardiniers, passim.)
Dans leur cercueil de fer-blanc
plein d’huile au puant relent
marinent décapités
ces petits corps argentés
pareils aux guillotinés
là-bas au champ des navets !
Elles ont vu les mers, les
côtes grises de Thulé,
sous les brumes argentées
la Mer du Nord enchantée...
Maintenant dans le fer-blanc
et l’huile au puant relent
de toxiques restaurants
les servent à leurs clients !
Mais loin derrière la nue
leur pauvre âmette ingénue
dit sa muette chanson
au Paradis-des-poissons,
une mer fraîche et lunaire
pâle comme un poitrinaire,
la Mer de Sérénité
aux longs reflets argentés
où durant l’éternité,
sans plus craindre jamais les
cormorans et les filets,
après leur mort nageront
tous les bons petits poissons !...
Sans voix, sans mains, sans genoux
sardines, priez pour nous !...
Georges Fourest 1867-1945 ("La Négresse blonde")