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Papistacheries
18 avril 2013

Interlude

Épouse-trop-Ravie et moi partons quelques jours : Yessena*, son père et sa mère nous manquent et réciproquement. Je publie, avant de monter dans la voiture, une historiette écrite cet hiver. J'avais l'intention d'en pondre cent comme celle-ci : l'hiver s'est achevé trop tôt, je me suis arrêté à deux. Un post-it, couvert de pattes de mouches, est en attente quelque part sur mon bureau ; si je concrétise l'idée, il ne me restera que quatre-vingt-dix-sept nouvelles à torcher pour que le compte soit bon. Après tout, j'ai bien essoré, par le passé, CCCLXV chroniques ridées.

Je vous laisse, Épouse-Trop-Impatiente risque de réveiller la voisine à stimuler ainsi l'avertisseur sonore de notre véhicule chaussé de neuf.

 

* Yessena, qui, bientôt, goûtera aux joies et tourments de se sentir l'aînée d'un petit frère dont le prénom n'est pas encore divulgué.

 

Glissade



La première fois que Georges naquit, sa mère n’en fut pas même avisée. Extravagance. Georges vint au monde, tout seul, dans une chambre désaffectée d’une maternité aux volets tirés et dépourvue de chauffage. Voir le jour dans une pièce obscure ! Cet enfant semblait promis à concentrer les paradoxes.


Les vagissements angoissants qui sourdaient à travers la porte de la chambre close finirent par alerter une blouse liserée de jaune qui chassait les poussières du couloir vers le hall où un courant d’air permanent était chargé de les disperser à l’étage supérieur en un tourbillon des plus esthétique.


Des enfants sans père, à la clinique, la sage-femme en avait vu beaucoup ; mais un enfant sans mère, c’était une première !


Non que l’établissement ait été doté de caméras sophistiquées, mais la direction exclut rapidement l’hypothèse d’un abandon de nouveau-né. La chambre était fermée de l’intérieur, la clé engagée dans la serrure. Plutôt que d’échafauder des théories policières excentriques, la raison l’emporta : Georges était né sans mère.


Ou, un peu plus précisément — mais la direction de la maternité ne le sut jamais —, Georges était né sans « sa » mère, laquelle, au moment de la délivrance, surfait une vague de la marée montante de presque vingt pieds quelque part sur la côte du golfe de Gascogne.


Avait-elle, d’ailleurs, jamais eu conscience d’être enceinte ? Peut-être ! Pas sûr ! Fine fleur des « watermen », cette naïade à la peau cuivrée perdit les eaux dans le rouleau d’une déferlante saline, sans s’en apercevoir, et Georges, expulsé par un spasme orgasmique enfanté par la fusion des énergies marines, éoliennes, telluriques et solaires de sa génitrice, se retrouva, nu et en pleurs, à plus de 8000 km de l’océan coléreux, dans une pièce aux murs de béton vert amande et aux issues rigoureusement closes de l’intérieur.


La porte enfoncée et les conclusions achevées, Georges fut conduit en un lieu plus conforme à son état. Lavé, caressé, oint d’huile et de crème, l’enfant cessa ses cris, ouvrit les paupières et promena lentement son regard autour de lui.


Sans doute, malgré toute l’empathie et tout l’amour qui émanaient du visage et des gestes de la puéricultrice, Georges éprouva-t-il quelque iniquité ou remords à se trouver en ce lieu, à cette heure, ou bien ne fut-ce qu’un accès de pudeur — n’était-il pas nu dans des mains, bien que douces, étrangères  ? L’enfant  renonça et, dans un reflux familier à sa mère comme à tout adepte de la glisse océane, emporté par une vague invisible et irrésistible, il échappa à la caresse féminine et dans un frôlement d’écume disparut.


Comme les reflets de cuivre de sa peau capturaient le soleil au sortir du tube gigantesque qu’elle venait de traverser, la jeune femme au ventre rond irradiait d’une sensualité quasi extatique. Elle se sentait la vague. Elle  était  la vague. Son enfant à naître fit une cabriole ; c’était un garçon, elle le baptiserait Moïse. A l’horizon, un nouveau rouleau se formait.

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Commentaires
K
Très belle histoire. Merci de m'avoir fait rêver...
S
Et vous allez graver ça dans la pierre ? Où vous préférez opter pour le volumen ?
W
Interdisez donc à Mamoune de jouer de la batterie (si vous le pouvez, bien sûr...)<br /> <br /> <br /> <br /> Dommage qu'il y avait un s, j'ai cru avoir découvert un nouveau George cloné !
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