100% matière grasse
— Prends également une plaquette de beurre de 250 grammes, m’a-t-elle lancé quand je quittais la cuisine pour le garage.
— Doux ou salé ?
— Doux ! c’est pour un gâteau.
Ce petit dialogue innocent, comme l’Hexagone en compte deux millions chaque jour, regorge néanmoins d’informations implicites lourdes de signification.
“Prends” : N’allez pas croire que je sorte du supermarché sans payer ; Épouse-En-Tablier-Rouge aurait dit “Vole”.
“Egalement” : Il est donc sous-entendu que je devais ramener d’autres denrées de ma sortie hebdomadaire.
“Une plaquette de beurre” : On visualise bien la forme attendue de l’emballage ; ça aide à se repérer dans la diversité des produits alignés sur les étagères de l’armoire réfrigérante.
“250 grammes” : Une demi-livre, aurait dit ma mère jadis, mais Épouse-Enfarinée ne mesure pas en livres.
“Lancé” : J’avais donc, au moment précis où cette injonction fut prononcée, déjà entamé un mouvement qui m’éloignait de mon épouse.
“Cuisine” : Où mieux qu’en ce lieu pour évoquer de tels ingrédients ?
“Garage” : La voiture s’y niche, assez classiquement et, visiblement, n’en n’était pas encore sortie pour se retrouver, comme parfois, dans l’allée qui y conduit.
“Doux ou salé” : C’est donc que la question se pose et que tantôt l’un ou tantôt l’autre est déposé dans le panier à provisions.
“Doux !” : La réponse fuse, nette, précise, pas de place à l’hésitation ; le choix était prémédité.
“C’est pour un gâteau” : Un gâteau avec du beurre ne peut-il être composé de beurre salé ? Visiblement Épouse-Décidée a, de longue date, choisi son camp.
“C’est pour un gâteau” : 250 grammes pour un — un seul ! — gâteau ; bigre, ce sera un goûteux gâteau.
“C’est pour un gâteau” : On notera toutefois que ce court dialogue ne laisse pas deviner qui mangera le gâteau... ni s’il sera mangé.