Ce couteau !
Dur, le pain est dur, ce matin.
Je descends l’escalier pieds nus. Le carrelage est froid. J’enfile les mules qui se chamaillent sous la table basse.
Gestes quotidiens : le bol, la cuiller, l’eau dans la bouilloire. Température maximum. Parvenir au plus vite à 100°C.
Une pomme. Ce n’est pas un fruit de saison. C’est un fruit.
J’ouvre le tiroir — un tiroir, le geste est machinal, j’ai dit “gestes quotidiens” — je saisis un couteau.
Ce couteau ?
Je puis dire pour chaque objet de la maison et son origine et la date de son entrée chez nous. Ces couverts offerts pour telle occasion, cette cuiller en argent donnée par Mamée, cette chaise, ce tabouret — ce tabouret acheté à tel endroit, teinté, ciré, réparé, oublié, remisé, redécouvert, etc. — cette boîte, ce plat...
Ce couteau ?
Lame fine, manche de bois usé, rivets de laiton, fil approximatif.
Ni je l’ai acheté, ni trouvé, ni jamais il ne fut offert, ni prêté.
Un matin, il était là, dans le tiroir.
Épouse interrogée, les filles questionnées... rien, personne n’avait rien vu, rien senti... Le couteau était là.
Il pèle la pomme ; sa pointe est effilée, il évide avec précision le cœur de la demi-pomme que je tiens de la main gauche. Il coupe le pain, le fend ; le grille-pain s’occupe du reste.
Je passe la lame sous l’eau, l’essuie, range le couteau dans le tiroir... loge de droite... avec les autres couteaux.
Parfois, ma main, envoyée en aveugle, s’empare d’un joli inoxydable — ils sont quatre identiques — au manche synthétique noir et galbé. Parfois, pressé, je me satisfais du produit de ma pêche ; d’autres fois, comme ce matin, mon œil dirige mes doigts : c’est celui-ci qui pèlera mon fruit, lui qui s’est, un jour, matérialisé au fond du tiroir.
Le pain est dur. Je mange plus souvent du pain dur que du frais. C’est une légende la marche quotidienne vers les odeurs de la boulangerie. Je ne consomme le pain que sur prescription homéopathique, alors, forcément, une baguette... une baguette fait plusieurs jours.