Fumer peut provoquer des rencontres hallucinantes
Mamoune et moi nous rendons au chef-lieu d’arrondissement — nulle part ailleurs ne poussent les herbes dont nous calons nos estomacs. Du plus loin que porte ma vue — verres progressifs, anti-reflets, auto-nettoyants, la panoplie bourgeoise du presbyte — je la reconnais.
Elle fume ce qui me semble, malgré la distance, être une cigarette. Long manteau noir, cheveux longs sur les épaules, même sourire, même yeux clairs. Je ne l’avais pas vue depuis vingt ans — dix-neuf peut-être, si on veut être rigoureusement précis — elle en a trente. Une camarade de classe de Rosette, l’aînée de nos filles.
Embrassades polies.
Elle est revenue s’installer dans son village natal depuis deux jours et attend son père parti chercher un café au distributeur dans le hall du centre commercial.
Deux jours !
Moi : Quel hasard heureux !
Elle : La poisse ! Ces mondanités rurales ne finiront-elles donc jamais ?
Non ! J’ignore ce qu’elle a pensé.
Elle m’a souri.
Vingt ans ! Elle en avait dix !
Quelle mémoire !