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Papistacheries
16 octobre 2009

— Frrrtttt, fit le lièvre

Je lisais probablement bien, la maitresse d’école m’avait fait sauter le CE1. Pas que j’eusse été un surdoué — au village, on n’avait pas encore inventé le concept — je lisais bien et calculais de même. Je veux supposer qu’au pays des aveugles un borgne devait être roi ; tous les ans, un petit groupe d’élèves se voyait imposé le saut de classe. Une pratique locale  ? Mes parents n’avaient rien demandé.

J’étais en CE2. Madame Thénaud nous faisait lire. Quel mortel ennui ces séances pendant lesquelles, chacun à notre tour, nous « lisions » le même texte jusqu’à la nausée. La nausée ? Le rêve ! Je partais. Madame Thénaud avait un don : elle repérait les rêveurs comme d’autres les coins à champignons.

— Papistachounet, à toi !

Retour sur terre. Répéter les derniers mots « ânonnés » par le camarade précédent pour donner l’illusion à la maitresse que l’on suivait l’intrigue si éventée par tant de répétitions hésitantes et balayer des yeux la page aux caractères bistres afin de reprendre le fil interrompu. Enchaîner. Se féliciter d’avoir échappé à la punition promise aux lunaires lecteurs.

Mais le lièvre, donc ?

Ce jour-là, nous étions debout près du bureau, notre livre entre les mains. Nous ? Un petit groupe. Les autres ? Occupés à quelque tâche d’écriture ou de copie ? Nous « lisions ». Mon tour arrive. Je bute sur « Frrrttt… ». Je coince. Ce mot-ci n’est point dans mon répertoire ! Diable, sans voyelle point de salut. C’est que, Maitresse, je ne sais pas encore le bruit du lièvre qu’on dérange…

— Allez Papistachounet, c’est à toi !

Rien. Ce lièvre-ci avait dû vaincre sa crainte et restait tapi dans l’herbe. Je n’ai pas pu le forcer à bondir. La maîtresse a dû me rétrograder de quelques places dans son panthéon ; elle est passée à un autre lecteur qui aura mieux maitrisé les vibrations de sa langue que moi.

Les volets de sa maison étaient verts. Il lui suffisait de traverser la rue pour se rendre dans sa classe. Ce n’était pas un logement de fonction, elle y est restée une fois sa retraite atteinte. Collégien puis lycéen, pour me rendre à la gare, je passais entre mon ancienne école et la maison de madame Thénaud. J’ai vu vieillir la dame, une canne accompagner ses promenades, son dos se voûter, ses pas ralentir. Je n’ai jamais pu trouver de prétexte pour lui montrer combien j’avais progressé. Je ne sais pas si ça lui a manqué. A moi, si !

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Commentaires
V
Votre clin d'oeil m'amuse, Papistache.<br /> Sinon, je vais tâcher de le retrouver, ce plus ancien souvenir. Je l'ai déjà, sans doute. Reste à l'écrire...
P
Je ne suis pas surpris Tilleul, sans doute se confier à une ancienne institutrice vaut pour toutes les confidences qu'on n'a pas osé faire au moment opportun.<br /> <br /> La mémoire est un muscle, il faut l'exercer, Valérie.<br /> <br /> Je ne prenais guère de risque Brigou, c'est le genre de souvenir qui émeut toujours.<br /> <br /> <br /> Vous croyez MAP qu'elle me suit depuis sa retraite ultime ? J'espère que je ne lui donne pas trop l'occasion de rougir !<br /> <br /> Teb, nous serions cernés par les institutrices ? Quelle engeance ! ! ! Après tout ce sont les premières femmes de notre existence, souvent, après nos mères.<br /> <br /> Tilu, si elle avait été mauvaise, elle m'aurait gardé deux ans. J'ai aussi des souvenirs de conjugaison dans sa classe. Mais à bien chercher j'ai plus de souvenirs de ma classe de CP, des visuels en particulier.<br /> <br /> Je pense que vous avez raison, Tiphaine, d'autant que c'est ma mère qui a fait, pendant vingt ans, le ménage dans l'école.<br /> <br /> Oh, Sandrine, je vis bien avec mes fantômes, ils sont paisibles et rassurants. Merci pour les bises du nord ! ! ! Filez bien, l'hiver arrive.<br /> <br /> Je crois que je comprends, Virgibri, des relations épistolaires avec une ancienne élève, comme ce doit être source de joie. Votre plus ancien souvenir, me le diriez-vous ?
V
* des souvenirs<br /> Bien sûr.
V
J'aimerais tant avoir de souvenirs aussi précis et aussi lointain... C'est très beau.<br /> J'avais retrouvé grâce à l'annuaire l'adresse d'une institutrice qui m'avait beaucoup impressionnée et aidée. Je lui ai écrit. Elle n'en revenait pas...
S
Ah, les regrets... Pourquoi ne glissait vous pas ce mot sous sa porte ou sur sa tombe ? Oui, je susi bizarre mais moi quand c'est trop et que ça me tient trop à coeur, je cesse d'être timide et j'arrive (généralement comme un cheveu sur la soupe : toujours en avance ou en retard, mais un jour, je serai là, pile poil à la bonne heure : a la bonne heure !!).<br /> <br /> Une bise en passant par ici et une autre en repassant par là. frrrttt je file !
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