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Papistacheries
24 août 2009

La liste de ce que j'ai oublié est incommensurablement plus longue que celle de ce que j'ai conservé en guise de souvenirs

Je me souviens de mon vélo d’adolescent. J’ai toujours cru que c’était mon premier vélo, or c’était un cadre pour adulte : j’ai oublié sur quel engin j’ai bien pu apprendre à pédaler. En revanche, je me souviens bien avoir appris à la plus jeune de mes sœurs à tenir en selle.

Je me souviens très bien d’être allé chercher le lait à la ferme ; en revanche, j’ai oublié le prix du litre ni si nous payions à la semaine ou au mois voire au jour le jour.

Je me souviens que ma mère portait des bas parce que je dessinais au dos du carton qui rigidifiait l’emballage et qui portait les caractéristiques du produit, mais à cette époque les bas devaient être solides, je ne dessinais pas si souvent que cela.

Je me souviens que je portais un béret noir enfoncé sur les oreilles pour aller à l’école, ainsi qu’un tablier noir, mais le tablier n’était pas enfoncé jusqu’aux oreilles ; en revanche, je suis incapable de me rappeler où je posais le béret en rentrant le soir à la maison.

Je me souviens de la première fois où mon frère est allé chez le coiffeur et j’ai oublié quand ce fut mon tour d’étrenner le fauteuil de cuir vert.

Je me souviens que notre mère nous lavait (parfois) dans un baquet en zinc — celui-là même qui servait à rincer la lessive — mais j’ai oublié où la scène se déroulait.

Je me souviens que je dormais dans la chambre de mes parents — ma sœur aînée, mon frère également— mais j’ai perdu le souvenir de la taille, de la forme et de la couleur de mon lit.

Je me souviens que je faisais mes devoirs sur la table de la cuisine — nous n’avions que deux pièces, la cuisine et la chambre — mais je suis dans l’incapacité de me souvenir si une toile cirée la recouvrait ou pas.

Je me souviens que nous avons déménagé dans la même rue, du 17 au 44, avant que j’aie eu dix ans, que nous étions déjà quatre enfants, qu’un cheval tirait la charrette emplie de nos chiches effets mais je ne saurais dire combien de voyages nous fîmes.

Je me souviens que mon frère m’avait poussé dans un profond fossé envahi par les orties alors que je n’étais pas encore grand-père, qu’il avait été fessé pour cela mais qui m’aidera à me rappeler comment je me suis relevé.

Je me souviens qu’à l’école, j’alignais des conjugaisons sur des morceaux de mon ardoise cassée : elle avait pourtant dû être entière un jour ?

Je me souviens qu’au Familistère on n’achetait, quand on en achetait, que des yaourts nature — « Ceux au chocolat font mal au ventre », disait Maman — mais je ne me revois pas les manger.

Je me souviens que notre mère avait accusé le voisin d’avoir empoisonné la petite chatte qu’elle aimait, que la chatte est morte au grenier ; en revanche, je ne me souviens pas avoir jamais caressé aucun chat dans mon enfance.

Je ne me souviens pas avoir vu ma mère enceinte avant sa cinquième grossesse.

Je ne me souviens pas avoir donné la main à ma sœur pour aller à l’école.

Je ne me souviens pas de ce que nous faisions de nos cartables avant d’entrer en classe.

Je ne me souviens pas de ma première journée d’école, ni de la dernière, avant de partir pour le collège, d’ailleurs.

Je ne me souviens pas de mon opération de l’appendice — on avait dû m’endormir — en revanche ,je me souviens qu’on m’avait servi de la cervelle et que c’est mon père qui l’avait mangée.

Quand j’ai été opéré des amygdales, ma mère allait chercher des glaçons chez la voisine qui était l’épouse de l’ancien contremaître de mon père. Je ne me souviens pas les avoir sucés. Fondaient-ils sur le trajet de retour ?

Je me souviens que les jours de grosse chaleur — grosses, grosses chaleurs — nous ne mangions pas de soupe, mais une “émiée” au lait, au vin pour mon père, et que j’aimais que le sucre mis à fondre laisse quelques cristaux au fond de l’assiette, cristaux que je cueillais du bout de l’index pour les porter à mes lèvres, mais j’ai oublié de quoi se composait la suite du repas.

Je pourrais continuer ce billet à l’infini mais j’ai peur de décourager les derniers lecteurs de ce blog.

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Commentaires
P
Ah, moi, Tilu, il me faut des preuves, livrez vos souvenirs les lecteurs trancheront.<br /> Mes pages vous sont ouvertes pour y donner tout texte signé Tilu.
T
Quel joli texte... il y a quelques uns de vos souvenirs qui ressemblent aux miens... :-)
P
J'aime quand Valérie aime. Je l'ai déjà dit.<br /> <br /> Topa, je lis chez vous que c'est un auteur qui vous semble cher.<br /> <br /> Certes Walrus, tenaces et polis...<br /> <br /> Prenez le temps de vous rassembler Virgibri, c'est important de prendre le temps.<br /> <br /> Miss-Ter, vous voulez dire que je sentais bon, devrais-je me souvenir plus souvent ?<br /> <br /> Et encore, Aude, ceux-là sont les oublis dont je parviens à me souvenir mais les autres...<br /> <br /> C'est vrai qu'ils en disent longs, MAP, mais aussi ne suis-je peut-être pas objectif, pourquoi donc ceux-là plutôt que d'autres ?<br /> <br /> Je sais, Brigou, les billets rétro trouvent toujours leur public.<br /> <br /> Maminette, vous en avez sûrement d'aussi émouvants à raconter. Quand vous y mettez-vous ?<br /> Je serai de vos lecteurs.
M
Que de beaux souvenirs, plus on se plonge dedans plus ils nous paraissent proches et pourtant!
B
J'aime bien lire tous ces souvenirs.
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