Une semaine avec Robert Gaillard
6 h 01 : Je vais écrire un billet qui traitera de la semaine que j'ai passée jadis en compagnie de Robert Gaillard, mais, présentement je me dois à mon Épouse, heureusement la journée sera longue, je reviendrai.
9 heures et une poignée de minutes : le récit.
A cette époque, je n’arrêtais pas d’avoir onze ans. Le temps s’étirait mollement. Disons onze ans et demi, j’étais entre la sixième et la cinquième, en vacances chez mes grands-parents paternels, vraisemblablement avec mon jeune frère, j’ai oublié s’il m’accompagnait ou pas, il était assez autonome pour avoir noué des relations amicales avec les enfants du bourg et devait passer son temps libre à jouer autour de l’église.
L’album relié de Mickey, je le connaissais certainement déjà par cœur. J’avais très probablement dévoré les rares romans photos que ma grand-mère se faisait prêter de droite et de gauche, il me fallait du consistant. Heureusement, une vague parente — je n’avais jamais percé à jour la nature exacte du cousinage qui nous liait, je ne la connaissais que par son prénom, ce devait être une cousine de mon aïeule elle-même — possédait une résidence secondaire dont elle avait confié les clés à qui vous devinez, sinon, comment aurais-je pu avoir accès au salon de la dite demeure ? salon qui recelait la toute première bibliothèque que je vis couvrant tout un mur.
— Prends ce que tu veux, me dit Mémère.
Je choisis au hasard, un fort gros pavé, sans illustration, d’un certain Robert Gaillard : Marie des isles.
L'île de la Martinique, des corsaires, des combats navals, des esclaves, les caraïbes et... de l’amour. Je n’ai pas décollé le nez du bouquin de la semaine, d’autant que j’avais repéré qu’une suite m’attendait dans le salon de la cousine. Et quelle suite... de plus en plus voluptueuse la demoiselle. Marie des isles II Marie Galante, Marie des isles III Capitaine Le Fort, Marie des Isles IV L’héritier des isles.
Ça changeait des livres empruntés à la bibliothèque de l’école — lesquels je ne renie aucunement, ça changeait, c’est tout.
A la fin des vacances, je surpris une conversation entre ma mère et sa belle-mère. — les relations entre les deux femmes étaient excellentes.
— Suzon, Papistachounet a passé son temps à lire, j’ai jeté un œil sur ce qu’il a choisi dans la bibliothèque de Dédette, ce n’était pas pour son âge. Je ne l’avais pas lu avant. Je regrette.
Ce que ma mère répondit, ou je l’ai oublié ou je ne l’ai pas entendu. De retour à la maison, aucune allusion jamais ne fut faite à la remarque de ma grand-mère.
Si je retrouvais, aujourd’hui, ces livres, certainement ne ressentirais-je plus le rouge qui me montait au front à l’évocation de scènes à la brute sensualité. Pour être franc, je n’avais pas retenu le nom de l’auteur. Quelques années plus tard, dans le quotidien que mes parents achetaient alors, l’Écho Républicain de la Beauce et du Perche, une adaptation du succès de Robert Gaillard fut donnée. Sur une colonne s’alignait une série de cinq à six dessins — peut-être moins — accompagnés d’un condensé du chapitre, intercalé entre chacune des images. J’avais grandi, j’étais pensionnaire, le texte était édulcoré, je ne me suis pas attaché à la publication du feuilleton, d’autres amours de papier avaient depuis touché mon cœur.