C'est un type qui dit qu'un jour il écrira un billet qui ne plaira à personne en espérant que ce ne sera pas le cas de celui-ci
Un jour, j’écrirai un billet qui ne plaira à personne.
Ni aux lectrices tôt levées, ni au lecteur qui trempe sa plume dans le vitriol, ni aux lectrices d’après la pause café de dix heures, ni à la lectrice d’outre-océan, ni au lecteur de passage, ni aux inconnues qui ne déposent aucun commentaire jamais, ni à celles qui repassent en coup de vent, ni à celles qui requêtent Papistache sur leur internet... à personne.
J’écrirai un billet sur mes pieds.
J’écrirai comme un pied.
Je dirai que j’en ai deux, pas plats, blancs et situés à l’aplomb de mon corps, lui-même plat, blanc mais unique.
J’écrirai la vie de mes pieds.
Je dirai que mes pieds sont aveugles, que leur perception du monde doit être bien obtuse. Ce sera à mourir d’ennui.
Je dirai la corne au talon, les doigts déformés, les ongles dépareillés, les poils sur les phalanges, la peau fine et les veines gonflées qui saillent...
Je dirai la dimension, l'Achille ridé, le relief de la malléole, l’attache fine, la jambe maigre, le poil usé, les tendons comme des cordes, le durillon près du pouce, les marques de textile au cou-de-pied, ce muscle-là qui palpite comme le ventre d’un agneau...
Je dirai l'exhalaison de plaisir qui suit l’extension des orteils pour délasser les muscles, le grec ou l’égyptien, les extrémités fraiches et la plante tiède, la petite cicatrice dure au toucher, la symétrie...
Un jour, j’écrirai un billet qui ne plaira à personne.
J’écrirai un billet comme un pied, sur un pied, à deux pieds...
Je n’écrirai pas avec le pied, ni pour les pieds...
J’écrirai mes pieds.
Ce sera un billet sans intérêt, un billet à gâcher le papier...
Je n’écrirai pas de lieux communs : ni l’odeur, ni les tongs, ni la plage, ni les doigts en éventail, ni les charentaises...
J’écrirai un billet qui ne plaira à personne.
Un billet sans queue ni tête, ni tête à queue. Un billet qui parlera de mes pieds. Je ferai un lot : deux pieds pour un billet.
Dimanche, pour la première fois de ma vie, j’ai manucuré (j'ai eu peur d'oser "pédicuré", aurais-je dû ? pu ?) les pieds de Mamoune. A genoux, à ses pieds, j’avais déjà joué l’amoureux ; dimanche, je les ai menuisés, eux si menus qu’ils tiennent dans la main, les deux tout entiers. Dimanche, les pieds de Mamoune dans ma main, je me suis senti plus Camille Claudel que Rodin. La prochaine statue que vous approchez ( la croiser serait fantastique) regardez ses pieds, vous aurez un avant gout du billet, qu’un jour, j’écrirai.