Le blog à Papistache
Tiphaine et Valérie se sont rencontrées. C’est commode d’avoir de la famille dans les vertes collines de la basse Normandie. L’an dernier, à la même époque, Mamoune et moi rencontrions Tilu. Nous fêtions nos trente ans de mariage alors. Pas avec Tilu ! Mamoune et moi, le 14 avril.
Tiphaine a voulu me jouer une surprise, pas aussi cruelle que celle que me promet Valérie pour la prochaine fois, mais du même panier.
Elle est arrivée quinze minutes après Valérie et je me demande ce que Tiphaine a bien pu faire pendant ces quinze minutes. Quarante-cinq fois le tour du pâté de maisons ?
Valérie écrit que je n’ai pas montré mes émotions. Plus de quarante ans— oui, plus — que je m’entraîne à les masquer ! Il faut bien que l’entraînement parvienne un jour à ses fins.
Quand Valérie est descendue, seule, de sa voiture bleue, j’ai vu le rétroviseur arraché et me suis dit : “Je me suis trompé.” Mais Valérie était là avec Elisa et Dora...
Un jour — j’étais élève en classe de première— à l’internat, un doux poète de terminale avait entrepris d’enregistrer les cris de supplication de ses condisciples sous le coup de la torture. Aidé d’un complice, il invitait, à tour de rôle, ses camarades de dortoir dans un local prêté par le surveillant — un ami des sciences expérimentales— et, tandis que le complice endormait la vigilance de la victime, le délicat troubadour enserrait, par derrière, le cou de l’objet de son étude de ses mains puissantes. L’enregistrement de la réaction de votre serviteur fut, parait-il, jugé particulièrement décevant.
— Pourquoi ne t’es-tu pas débattu et n’as-tu pas crié ?
— Ça ne m’est pas venu à l’esprit !
C’est Mamoune qui a accueilli Tiphaine. Mamoune savait que je croyais dur comme fer que Tiphaine viendrait. Il aurait été drôle, qu’à cette occasion, Tiphaine découvrît que Papistache était une femme. La situation doit bien se trouver.
Tiphaine, pour ceux qui la lisent, c’est Don Quichotte. Un Don Quichotte, mais indissociable du paysage, fondu, mêlé, constitutif du décor. Un Don Quichotte qui clignote également depuis plusieurs mois.
Qu’apprend-on de quelqu’un en découvrant son apparence physique ? Qu’apprend-on que l’écriture ne révélait pas déjà ? Qu’apprend-on de quelqu’un qui vous rappelle que l’essentiel est invisible et qu’on ne voit bien qu’avec le cœur ?
J’ai vu les yeux que Valérie portait sur moi pendant cet entretien ; j’ai vu le sourire de Tiphaine. Lors de notre première rencontre avec Valérie, j’avais vu son sourire. Ça fait deux sourires et un regard. Les sourires, à l’écrit, on les devine, on ne les voit pas.
Nul ne sera surpris d’apprendre que ma perception des êtres est laborieuse. J’étais en classe de première, combien de temps mon cerveau a-t-il cessé d’être irrigué ?
Ce que j’ai appris, toutefois, depuis que je coudoie des amies d’écriture et que la rencontre avec Tiphaine confirme, c’est que les volcans sous marins ne troublent pas la surface de l’eau de la mer. Depuis que je me suis immergé dans ce monde qu’on dit virtuel, j’interroge de plus en plus les enveloppes des passants que je croise. Le monde intérieur de celui-ci, de celle-ci, quel est-il ? De là à ce que je devine des géants derrière chaque silhouette, la frontière est ténue ; mais que les géants se rassurent, je suis un pacifiste...