De fil en aiguille
Je ne sais pas si je vais être très disponible aujourd’hui, je dois redresser tous ces trombones. C’est trop insupportable de les voir ainsi tout repliés sur eux-mêmes, j’ai l’impression de lire la radiographie de la colonne vertébrale de Manoune.
Oh ! A propos de trombones. C’était cet été, en juillet. Madame Yvonne recevait pour quelques jours sa petite-fille, que dis-je, son arrière-petite-fille. Une jolie brunette aux cheveux bouclés et à l’air déluré. La gamine, Guenièvre, avait vite sympathisé avec les enfants du quartier et partagé leurs jeux.
Un jour, vers midi, Madame Yvonne nous apostrophe par dessus le muret mitoyen :
— Ma Guenièvre n’est pas dans son assiette. Croyez-vous qu’elle s’ennuie ? Que l’herbe n’est pas assez belle, pour elle, ici ?
J’abrège. Mamoune, bonne âme, s’en va questionner la chevrette.
— Je vais mourir, lâche la mignonne.
— Et pourquoi ? s’étonne Épouse-qui-S’étonne.
— J’ai avalé un trombone ?
— Un trombone ?
— Non, un morceau de trombone !
Mamoune la presse de questions :
— As-tu mal ? Le morceau était-il pointu ? L’as-tu senti passer dans ta gorge ? Etc.
La petiote ne ressentait aucun symptôme. Dans la voiture, pendant que nous embarquions la mémé décomposée (bien qu’encore en vie) et la gamine trombonophage nous avons appris qu’en sautant à la corde, elle avait avalé le morceau de trombone métallique qu’elle suçait distraitement.
Nous, nous la rassurions en argüant du fait qu’elle ne ressentait aucune douleur et que les médecins aux urgences sauraient lui donner de bons conseils. Madame Yvonne voyait déjà l’estomac de sa descendance ouvert par un bistouri inquisiteur.
Cependant, Épouse-Je-Veux-Tout-Savoir poursuivait son interrogatoire.
— Si tu ne l’as pas senti passer dans ta gorge, es-tu certaine de l’avoir avalé ?
— Oui, avec les filles on a regardé par terre et on l’a pas trouvé.
— Dans tes vêtements ?
Elle ne portait qu’un débardeur sans manches et un petit short.
— Non ! J’ai bien cherché et les filles ont dit que j’allais mourir.
Vingt minutes pour arriver à l’hôpital. Une radio dans l’urgence et, bien sûr, pas plus de trombone dans l’appareil digestif que dans les plis du corsage de la demoiselle Guenièvre.
Bon, ce n’est pas tout, mais moi, je bavarde, je bavarde et je dois encore redresser tous ces trombones avant midi.