Le lecteur
Ce soir, nous roulons, Épouse-Au-Volant, la voiture et moi, sans nul besoin de recourir aux services d'un GPS, nous connaissons l’itinéraire par cœur.
Épouse-Au-Volant me demande :
— Me lirais-tu quelques lignes, cela me ferait du bien.
Du bien ! Je ne songe qu’à la combler. Je m’exécute. Pan !
Non ! c’est une blague.
Je m’exécute, sans pan ! sans penser... que la nuit tombée rendait la lecture ardue. N’objectez pas que votre (oui, votre) automobile est équipée d’un plafonnier multidirectionnel. Dans notre voiture, seule la boite à gants possède encore un éclairage d’appoint, lequel ne sert à rien, je ne place pas ma tête dans la boite à gants, mesdames, NON !
Point de lecture donc. Mais je propose, en échange, de réciter un court extrait (d’une page paire, évidemment) que ma mémoire a enregistré quand la lumière du jour suffisait encore à satisfaire mon vice.
— On y parle de l’odeur compliquée des chrysanthèmes. J’ai aimé cet adjectif compliqué appliqué à une fleur de saison.
— Vas, doux ami, fais fonctionner ta mémoire.
— C’est que le passage suggère également une certaine appétence pour...
— Je me doute que si tu as mémorisé le passage, c’est qu’il a dû titiller certaine fibre de ta moelle...
— Oserais-je ?
— Tu en as trop dit et... si tu y renonçais, je sens qu’il me faudrait faire une pause et te demander de prendre ma place derrière le volant.
"J’avais à mes doigts l’odeur compliquée du chrysanthème chauffé dans de la soie de ta chair caressée tout à l’heure, sur le lit étroit, dans le désordre des vêtements chiffonnés, remontés n’importe comment entre nos jambes, et un désir mal apaisé de toi, toute entière, nue et douce et heureuse dans mes bras, me tourmentait."
Écrit le 20 septembre 1919, par Mireille Havet, dans son journal, elle n'avait pas encore 21 ans.
Après un long silence, Épouse-La-Tête-Ailleurs me sussure :
— Tu sais quoi ?
— Non !
— On devrait faire réparer le plafonnier !