Oh, non... oh, non... oh, non...
Son porteur le mène devant l’étagère où sa mère range ses jouets. Il descend du véhicule de bois et s’empare d’une petite voiture ou plutôt... d’un puzzle à encastrement. Il tourne la tête vers moi et là... son œil s’allume :
— Oh, non !... Oh, non !... Oh, non !...
Et il lance la banane à terre, puis le citron, les cerises, le raisin, la pomme, l’orange... tout valdingue.
— Oh, non !... Oh, non !...
Il a remarqué que Grand-Père s’agace de voir voler les jouets, des plus solides aux plus fragiles, tout valse. Oh, non... oh, non ! La poire n’a pas suivi le reste de la salade de fruits. Non !
— Pou-oire ? pou-oire ? pou-oire ?
La poire a disparu sous un meuble, allez savoir ? Ou sur l'armoire ? Sur, c'est plus que sûr !
Il reprend son petit vélo rouge et jaune et entreprend un énième tour de canapé. Son œil s’allume. Il s’arrête devant la table basse sur laquelle une boite de clipos attend sa majesté malicieuse.
— Oh, non... oh, non... oh, non !
Pluie de clipos sur canapé.
Mais enfin, cet enfant va-t-il passer sa jeunesse à tout envoyer balader aux quatre coins de l’appartement ? Tout y passe. Magnets, livres, peluches, voitures, cartes — qui donc a offert un jeu de cartes à un enfant de deux ans ?—, cubes empilables — pas par lui, mon dieu, il envoie tout aux quatre-cents diables d’un pied ravageur —, tout, tout, tout.
En trois jours, Mamoune, sa Mamoune, a reconstruit cent fois le petit parcours ferroviaire de Lego. Cent fois, le circuit a essuyé la tornade en cheveux bouclés. Cent fois ! Cent fois, Mamoune a reconstruit l’assemblage passerelle-quai-gare et... cent fois, le chef d’œuvre a testé la voie des airs.
Je vais taire les albums de Popi déchirés, les quilles jetées avec force contre les murs, le sol de la pièce jonché des débris des raz de marée dont son quotidien est fait.
— Oh, non !... Oh, non !... Oh, non !...
D’après sa mère, c’est ma présence qui le mettrait dans cet état. Il doit croire que cela m’amuse. Connaissez-vous quelqu’un qui puisse le détromper ? En attendant qu’il sache parler, je me persuade qu’il fait tout cela pour me satisfaire. Brave petit.
Et puis, cet après-midi... miracle. Il s’assied au coin de la cheminée et entreprend d’emboîter une haute tour de briques multicolores. Ce sont des casiers à légumes, me dit-il. Il dépose sa cargaison sur un élément à roulettes et part livrer des marchandises. Tchhhh, tchhhh... Plus de frénétique acharnement à semer la pagaille, plus de malice dans l’œil pour provoquer la réaction du Grand-Père laquelle le plongeait, hier encore, à chaque fois, dans un ravissement extatique.
Il a changé ou... on nous l’a changé.
On nous l’a changé !
C’est le même en plus âgé. En fait, c’est le fils d’une qui est, ici, comme chez elle, quand elle veut. C’est Mowgli dans deux ans. Exactement comme je le rêve. Un amour de petit garçon, drôle, joueur, vif, curieux, passionné, qui maîtrise et coordonne ses gestes.
— Sois patient, papa, me dit Rosette. Il y a un temps pour détruire et un temps pour construire.
C’est vrai. je le sais. Mais, le temps de la destruction ne me sied guère.
Il me tarde de passer à l’étape suivante. Oh !... Son œil s’allume encore.
Que va-t-il donc fracasser du haut de ses quatre-vingt-cinq centimètres ?
Non, pas la locomotive ! pas la locomotive !
— Oh, non !... Oh, non !... Oh, non !...