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Papistacheries
15 septembre 2008

Un modeste couteau de poche

Je pourrais vous dire, Janeczka, que l’Opinel est un couteau de poche.

Essayons !

 "Janeczka, l’Opinel est un couteau de poche."

Mais, vous disant cela, je ne vous dirais rien que G00gle ne puisse vous apprendre.


L’Opinel, qu’on nomme d’ailleurs très souvent opinel, comme d’autres nomment frigidaire leur réfrigérateur, n’est pas un couteau de poche. Pas seulement, si peu, à peine.

L’Opinel, c’est le cadeau initiatique dont rêve tout enfant de la campagne dans les années 50.

Enfin, un parmi d’autres.

Votre serviteur.


Son père, ses oncles, ses grands-pères, les amis mâles de la famille, ses cousins plus âgés ont tous, au fond de la poche un couteau à lame qui se replie. Tous ! et lui, il attend d’entrer dans la confrérie, car il en est sûr, il possèdera, un jour, son Opinel à manche de bois et virole de sécurité.


C’est son père qui le lui offrira, sans occasion spéciale, ni anniversaire ni joli cahier de compositions. Pour rien, juste parce que son père aura jugé qu’il était temps que son fils sente peser au fond de la poche de ses culottes courtes le viril symbole de sa sortie de l‘enfance.

La lame est aiguisée, pointue et brillante. Elle est neuve. Son père, ses grands-pères lui ont solennellement démontré, à maintes reprises, que toute lame qui ne dépasse pas la largeur de la paume de la main peut se transporter sans crainte de la maréchaussée. Au-delà de la paume, l’objet devient arme blanche, en deçà, couteau de poche. La maison Opinel le sait, elle qui décline sa fabrication du tout petit couteau pour lutin des bois à celui pour samouraï énervé en passant par toutes les tailles intermédiaires. N° 8, n° 10, n° 12,…


Un jour l’Opinel sera perdu. Une magie noire qui aura été plus forte que la blanche. Il ferme les yeux, lance le couteau au-devant de lui et si la magie blanche opère, sous la pointe du couteau, il trouvera un pissenlit de plus à couper pour jeter au fond du panier que Maman lui a demandé de remplir — à cette époque, on n’achète pas de salade, on mange celles des champs ou celles du jardin —. Il ne retrouvera jamais son Opinel, pourtant il l’aura cherché longtemps, jusqu’à ce que la nuit tombe. Plus tard, beaucoup plus tard, quand la prairie, ravisseuse de couteau de poche et excavée pour y arracher le ballast indispensable à la construction des autoroutes, sera devenue un profond étang,  l'enfant devenu grand ne s’empêchera pas de songer que définitivement il ne remettra jamais la main sur son premier Opinel.

Il en possèdera d’autres, en offrira à ses filles, à son épouse, songe à en choisir un pour son petit-fils... bientôt !

Aujourd’hui, l’Opinel ne traîne plus guère au fond de sa poche. Les mœurs ont évolué. L'efficace cutter est plus familier, mais ce dernier ne quitte guère le verre à moutarde qui sert de pot à crayons. L’Opinel — quand le bonhomme que vous connaissez parvient à mettre la main dessus, ce qui constitue un exploit pas toujours renouvelé — accompagne encore les automnales séances de décolletage de champignons — l’amateur n’arrache pas le champignon, il coupe le pied d’une lame tranchante et respectueuse. L’amateur est samouraï !



Je pourrais vous dire les moulins au bord des ruisseaux de montagne pour les enfants, les bâtons de marche sculptés au cours des randonnées familiales, les pipeaux de saule, les bateaux d’écorces de pin, les bonshommes de bois flottés, les casse-croutes sur le bord des chemins, les écorchures, les plaies, les initiales enlacées aux rugosités des troncs, les noix éclatées, les fruits pelés, les roses coupées… mais sans doute vous êtes vous déjà endormie, alors, je replie la lame doucement dans son manche de bois et je vous laisse à vos rêves de toutes les couleurs comme ceux que j’aimais souhaiter à nos filles quand elles étaient petites.


Bonne nuit, Janeczka !


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Commentaires
C
Je comprends un peu mieux l'attachement de mon Papa à son précieux couteau de poche rétractable...
J
J'ai laissé un com', on a dû le couper, normal, je ne t'ai pas filé une pièce !!!<br /> <br /> Sniiiiiiiiiiiiiiiiif !!!<br /> <br /> J'ai un Opinel !
B
Chez nous, c'était le Pradel à manche de corne, la lame noircissait et mon grand-père l'affutait régulièrement. J'en ai eu plusieurs que j'ai perdus.<br /> Dimanche, sur une brocante, j'en ai cherché un. Je ne l'ai pas trouvé.
G
C'est bien comme ça que je le comprenais Papistache ;-)<br /> C'est d'ailleurs ce que reflète ton beau texte.
A
Ah Papistache, c'est la seconde fois que vous faites monter une telle émotion en moi : la nostalgie... mon papi... lui aussi il avait un opinel... Merci pour les souvenirs remontés en surface :o)
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