Le virtuel ne s'oppose pas au réel mais à ce qui existe dans le concret, alors que le réel s'oppose, quant à lui, au possible
Épouse-Bien-Tangible conduisait.
A son côté droit, comme de coutume, j’arrachais, d’un doigt divin, les panneaux routiers et publicitaires qui, en dépit de mes nombreuses tentatives persistent à encombrer les bernes de nos sympathiques routes départementales.
Clac ! J’adore gifler les panneaux d’aluminium, ou les enfoncer, d’un poing même pas rageur, sous cinquante centimètres de terre. Parfois, j’en déterre un, pour faucher les autres.
Je vous assure que les automobilistes qui nous suivent me rendent grâce pour la pureté retrouvée du paysage. Enfin, ceux qui y parviennent. J’avoue que je sors souvent les huit socs d’acier bleui qui labourent, derrière notre automobile justicière, le vilain bitume des laides routes départementales. Comme la nature exulte après notre passage ! Dans le rétroviseur poussent, en accéléré, les fleurs sauvages libérées de la dalle funèbre qui les couvrait et les étouffait.
Je balaie bien quelques habitations disgracieuses sises de part et d’autre de la chaussée mais j’ai développé une technique qui laisse indemnes les habitants. Marris mais indemnes !
A ma modeste confusion, il m’est arrivé de dévêtir quelques représentants de la force publique en exercice, mais c’est un passe-temps qui ne m’a pas apporté toutes les joies que j’en espérais.
Ces petits jeux innocents nous obligent à trouver un itinéraire de retour différent de celui que nous empruntons à l’aller. C’est que nous ne possédons pas de véhicule tout-terrain et que le confort d’un ruban d’asphalte nous agrée autant dans un sens que dans l’autre.
Évidemment, il advient qu’Épouse-Aux-Tempes-Fières sollicite ma présence à son côté gauche. Je m’exécute et je n’ai plus guère le loisir de débarrasser les routes de ces odieux panneaux plantés là exprès pour m’occuper pendant les longs trajets.
Mais, il me reste le frein à main !
Ou plutôt la gâchette qui commande le mécanisme.
Cli-cli-clic ! Et toute voiture qui me précède,
me double,
me croise,
traverse mon champ de vision
est
automatiquement
désintégrée.
Je vous assure que l'expression des pauvres conducteurs, frappés d’incompréhension, qui se retrouvent, en caleçon, au milieu de la route, m’est d’une consolation inexprimable.
Personne dans votre entourage ne vous a jamais conté pareille mésaventure ? Vous m’étonnez ! Encore qu’à la réflexion, il me faille admettre, qu’en voiture, Épouse-Jamais-Lasse se tient rarement à ma droite.